Tour de Guadeloupe 2021 : un rêve impossible ?

Crédits Photos : Wlad Fresh Photography

Cyclisme
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Dans moins d’un mois, les “forçats de la route” devront prendre le départ du premier Tour de Guadeloupe depuis l’irruption de la pandémie de Covid-19. Mais cette 70ème édition ne sera pas celle du retour à la normale. Malgré l’optimisme et le volontarisme affichés par le comité cycliste régional des Iles de Guadeloupe (CRCIG), les clubs et les directeurs sportifs locaux sont plutôt pessimistes.

Le 19 juillet 2021, le CRCIG rassemblait en grandes pompes l’ensemble des élus, des sportifs et de la presse au Cinéstar de Dothémare. Le président et toute son équipe présentaient alors une 70ème édition du Tour de Guadeloupe “mythique” conçue pour marquer aussi le redémarrage du sport local après un an et demi d’arrêt. Ils y annonçaient alors un tour décalé à octobre pour des raisons sportives et financières. 

“Nous savons que pour le mois d’août, les cyclistes Guadeloupéens n’auraient pas été prêts physiquement à affronter une épreuve telle que le Tour. Décaler à octobre leur permet de rouler plus, de participer à plus de compétitions et d’arriver en condition sur la ligne de départ du Tour.” argumentait alors Frédéric Théobald, le président de la nouvelle équipe à la tête du comité. 

Oui mais. Le variant Delta, avec une rage féroce, est venu bousculer les plans du comité. Même avec son protocole et ses bonnes relations avec le bureau de sécurité intérieure, il ne peut rivaliser contre les 7 000 cas positifs par semaine qui éclosent alors dans le département.

Retour à la case départ

Moins de deux semaines après les grandes annonces, les grands espoirs du comité sont donc douchés. Et pas que les leurs. Le peloton Guadeloupéen est obligé de ranger les vélos et d’attendre des jours meilleurs. Voilà un peu moins de huit semaines, que les cyclistes Guadeloupéens sont quasiment à l’arrêt, ceux qui ont réussi à maintenir les entraînements sont démotivés par l’absence de compétition et deux saisons consécutives en dent de scie. 

De son côté, le président Théobald ne mollit pas. Le comité mise sur l’efficacité de son protocole et encourage donc fortement les cyclistes à se faire vacciner pour maintenir, coûte que coûte la manifestation. Interrogé par nos confrères de Guadeloupe la 1ère, Frédéric Théobald précise que l’organisation du Tour de France a réussi à maintenir garantir de bon déroulement de la compétition, dans un contexte sanitaire difficile, justement grâce à une bulle rigoureusement appliquée. Dès lors, il n’existerait aucune raison valable qui autoriserait l’annulation du Tour de Guadeloupe. 

“ Le taux de vaccination dans le peloton est en augmentation. Selon nos dernières données, sur les 80 coureurs Guadeloupéens, entre 30 et 35 sont vaccinés. Ceux qui ne le sont pas, ont contracté le virus pendant la 4ème vague et justifient de certificats de rétablissement. Pour le reste, les directeurs techniques et équipes ont accepté de se soumettre à des tests PCR tous les trois jours. Je crois que nous pouvons conserver notre bulle sanitaire durant la compétition.” détaille le président au micro de Guadeloupe la 1ère.

Mais les choses sont bien plus compliquées que cela. Car sportivement, pour beaucoup d’acteurs du cyclisme Guadeloupéen, le compte n’y est pas.

Un peloton maigrichon et en petite forme

Si le comité communique sur 80 coureurs répertoriés, en réalité, le peloton risque d’être bien plus maigre que cela. Depuis un an et demi, on ne compte plus les cyclistes qui ont abandonné le vélo faute de compétitions et de forme. De nombreux clubs, qui sont des références du vélo, annoncent d’ores et déjà qu’ils ne prendront pas le départ du Tour.

“Nous avons tiré un trait sur le Tour. Ce sera un “non” catégorique pour nous. Je n’ai aucun garçon à mettre à vélo aujourd’hui. Il ne faut pas oublier que nous sommes un club amateur. Sans compétition et sans entraînement, nos cyclistes sont retournés au travail et n’ont plus aucune motivation pour revenir à vélo.” détaille avec amertume Moïse Galant, directeur sportif de l’ACL (Association Cycliste du Levant)

Cette humeur morose, on la retrouve dans tout le peloton. Les clubs ont toutes les difficultés du monde à rassembler les quatre coureurs réglementaires pour s’aligner au Tour. Et, quand ils les ont, la préparation physique n’y est pas encore, surtout pour affronter l'un des Tour les plus difficiles de ces dix dernières années.

“Je suis embarrassé, parce que à l’UVN, nous avons deux coureurs, qui, à mon sens, ont les jambes pour affronter un Tour. Carl Legrand, qui est très motivé, et qui continue les entraînements et Fabien Arthein qui court en France et qui n’a donc pas souffert de l’arrêt des compétitions. Au niveau de mon staff, nous avons été impactés par le Covid, mais les malades se sont remis et sont prêts à se lancer dans la préparation d’un Tour. Il me faut donc désormais trouver une solution pour me positionner avec deux coureurs et beaucoup d’incertitudes.” nuance Philippe Palmiste, directeur sportif de l’UVN.

Le comité aurait, selon nos informations, ouvert une possibilité d’entente entre les clubs afin de pallier le manque de cyclistes. Mais ça ne règle pas tout. Comment aligner sur une compétition aussi exigeante, des cyclistes qui ont les jarrets plats depuis plusieurs mois surtout face à des monstres européens et sud-américains qui ont pu continuer à participer à des compétitions. Pour Marc Polin, spécialiste cycliste, le maintien du Tour est une hérésie sportive.

“Je ne comprends pas comment, un département qui est sans compétition depuis plus d’un mois, peut prétendre organiser une compétition telle que le Tour de Guadeloupe. Il faut bien comprendre à quoi on aura affaire. Nous allons recevoir des équipes qui ont couru en Europe sur des moyennes de près de 44km/h par course. Les cyclistes, là-bas, sont en pleine forme. Ils ont déroulé normalement leur saison. Et vous allez mettre, face à eux, des gamins qui au maximum tournent à 38km/h de moyenne ? Sur neuf jours ? À l’arrivée, ce sont des écarts de 30 voire 40 minutes que vous construisez. Ce n’est pas possible !” s’insurge le spécialiste.

 

Il est rejoint dans son analyse par André Alexis, directeur sportif de la formation Karukéra Assainissement.

“J’aimerais vraiment qu’on s’interroge sur le type de compétition que nous sommes sur le point d’offrir aux Guadeloupéens. Je propose que nous organisions un contre-la-montre. À l’issue de l’épreuve, voyons ensemble quels coureurs auront réussi à maintenir une moyenne de 43km/h. Si, en Guadeloupe actuellement, vous en trouvez huit. Ce sera un exploit. Organiser un tour, dans les conditions actuelles, ce n’est pas prudent. Nous ne disons pas cela parce que nous avons peur de la compétition. Pas du tout. Nous avons déjà montré, nous Guadeloupéens, notre talent et notre pugnacité à vélo. Mais nous ne pourrons pas nous battre à armes égales cette fois-ci.” 

Et le problème n’est pas uniquement Guadeloupéen. Les sélections de Martinique et de Guyane, qui sont invitées régulièrement au Tour de Guadeloupe connaissent des problématiques similaires. Marc Polin, qui connaît bien le milieu du vélo Martiniquais est catégorique.

“À l’heure actuelle, vous n’aurez personne de la Martinique sur le Tour de la Guadeloupe. Nous sommes en train de nous poser la question de faire redémarrer la saison rapidement et de ne pas l’interrompre jusqu’en 2022 pour relancer la discipline. Personne ne viendra s’aligner sur un Tour de Guadeloupe avec une préparation aléatoire. Je suis formel.” 

 

“Que vont donner nos briefs stratégiques ? Nous allons devoir nous tenir devant les gamins et leur demander de faire du mieux qu’ils peuvent ? D'essayer de ne pas arriver avec la voiture balai ? Ça n’a pas de sens !” s’insurge Philippe Palmiste

Si, comme cela se profile, le tour se tient réellement, André Alexis craint de dangereuses dérives.

“Le scénario est couru d’avance. Vous aurez des gamins régulièrement derrière, qui vont abandonner ou alors se livrer à des pratiques illicites. Certaines moins graves, comme des remontées dans les voitures techniques et d’autres... qui auront des conséquences plus... compliquées dirons-nous.”

Une allusion à peine voilée au dopage. Mais quoi qu’il arrive, il y a de fortes chances que le public Guadeloupéen assiste à un Tour où les dix premières places du classement sont occupées par des coureurs des équipes invitées telles que, par exemple, les "rouge et noir" d’une Team Pro Immo en forme olympique depuis le début de saison.

Interrogé sur les réticences du peloton, Frédéric Théobald précise que le Tour de Guadeloupe est une course internationale ouverte sous invitation. Ainsi, les clubs qui, pour une raison ou une autre, ne se sentent pas prêts, n'ont aucune obligation à participer à la course. 

Nous n'obligeons personne à courir. Le tour est une compétition 2.2, internationale à laquelle les clubs de Guadeloupe sont invités. Nous les avons réuni, il y a près d'un mois pour les informer de l'organisation du Tour. On comprend que c'est une année compliquée et difficile, mais le cyclisme c'est avant tout de l'entraînement, et même sans compétition, les cyclistes pouvaient continuer leur programmation.

Pas si simple d'arrêter la machine

Dans ce contexte délétère, ne faudrait-il pas mieux se concentrer sur une relance globale du cyclisme local que sur la relance d’une compétition phare ? Car le vélo Guadeloupéen est en crise, en phase de “creux” comme dirait certains observateurs. L’idéal serait de remettre progressivement tout le monde à vélo, continuer le calendrier des courses, voire même l’enrichir pour préparer convenablement la saison à venir. 

“Je pense très sincèrement qu’il est plus important d’organiser de petits critériums tout le long de la saison, pour remettre tout le monde en forme, faire de la détection même et anticiper sur les saisons à venir.”

Un constat partagé par certains cyclistes. Plusieurs d’entre eux sont en plein questionnement. Cédric Locatin, se demande comment préparer le Tour dans une saison morne tout en continuant ses études. Kéran Barolin s’est déjà clairement retiré de la compétition et Loïc Laviolette, lui, est concentré sur 2022.

“En ce moment, je me nettoie le corps. Je me prépare tranquillement à la compétition mais je ne suis vraiment pas dans l’optique d’un Tour de Guadeloupe. J’ai conscience, en ce moment, de ne pas être prêt physiquement pour encaisser cette épreuve. Mon seul objectif est de remonter à vélo en bonne forme pour 2022.” 

Boris Carène, est pour sa part, déjà retourné sur la route avec son équipe. Le cador du peloton Guadeloupéen, que l’on sait très attaché à la compétition et coulé dans un esprit de gagne, poursuit sa préparation dans l’espoir d’arracher des victoires dans les étapes qui correspondent à son profil.

Si on comprend l’hésitation des cyclistes, l’annulation ou le report du Tour ne sont pas pour autant évidents. Le Tour est une compétition internationale labelisée 2.2 au calendrier de l’UCI. Or, selon les règles de l’organisation qui chapeaute le cyclisme mondial, deux annulations successives d’une compétition du calendrier pourraient être sanctionnées par un retrait du label.

C’est inenvisageable pour le comité et surtout pour une nouvelle équipe qui a voulu porter le renouveau du cyclisme Guadeloupéen. Toutefois, l’UCI, de son côté adopte un ton clément, sans pour autant ouvrir trop de portes. Si elle ne confirme pas clairement le retrait du label en cas de seconde annulation, elle se dit cependant prête, au regard de la situation exceptionnelle à travailler un protocole avec le CRCIG.

Marc Polin, lui se montre plus pragmatique.

“Ce label, c’est avant tout une histoire d’argent. Le conserver implique un lourd investissement. Pourvu que le comité consente à investir pour le préserver, sous réserve d’un échange fructueux et positif avec l’UCI, je ne suis pas sûr qu’il ne soit pas en mesure de conserver la classification 2.2 du Tour de Guadeloupe.” 

Et l'argent c’est justement ce qui pourrait venir à manquer (aussi). Si des sponsors ont accepté de suivre le tour, l’avenir au niveau des clubs est bien plus sombre.

“Notre sponsor est en pleine interrogation. S’il nous suivait jusqu’à présent c’était parce qu’il pouvait se positionner sur la caravane et profiter de l’exposition médiatique du Tour. De plus, nous avions des objectifs de performance précis à lui proposer. Aujourd’hui, on parle d’un tour à huis clos et avec des perspectives de performances ridicules.” conclut Philippe Palmiste.

Pas de sponsors, pas de coureurs... la préparation du Tour de Guadeloupe a rarement été aussi morose. Un paradoxe quand on sait que c’est une édition anniversaire que le comité espère spectaculaire. Mais dans ce cas précis, le spectacle est-il intéressant si aucun Guadeloupéen ne l'anime ? Peut-on vraiment espérer une reprise joyeuse quand la majorité des clubs est sinistrée sportivement et financièrement ? Pour certains directeurs sportifs, la pilule est d'autant plus difficile à avaler qu'elle est servie par un ancien cycliste. 

“J’aurais compris cette attitude d’un des anciens présidents. Ils aimaient le vélo, mais ils n’étaient pas cyclistes. Et quand ils construisaient le tour, ils s’arrangeaient toujours pour inviter des équipes qui permettaient un Tour équilibré en niveau entre elles et les sélections locales et régionales. Aujourd’hui, nous allons nous faire manger par des ogres hyper-entraînés. C’est d’autant plus dur que, même avec notre petit niveau, nous avions, jusque-là réussi à les tenir en respect. Ils savaient qu’ils affrontaient des amateurs, mais aussi des coureurs doués, des enragés de vélo autant qu’eux, qui ne lâchent rien ! Et c’est ça qui a fait la beauté du Tour. Cette année, ils n’auront aucune rivalité, et nous jouerons les figurants sur notre propre compétition ! C’est rageant et c’est un des nôtres qui nous fait ce coup-là” déplore une source proche du dossier.

La reprise de la compétition avec la coupe du conseil départemental ne suffit pas à alléger la tension. Cette 70ème édition du Tour de Guadeloupe s’annonce mémorable... mais peut-être pas pour les bonnes raisons.