Autopsie de la Ligue Antilles-Guyane de pétanque

Pétanque
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La Ligue Antilles-Guyane de pétanque n’est pas morte, mais c’est tout comme. La Fédération de Française de Pétanque et de Jeu Provençal (FFPJP) lui a retiré son agrément le 3 septembre 2021, lui coupant ainsi toute autorité sur les comités départementaux de Guadeloupe, Martinique, Guyane et des Îles du Nord. La raison ? La Ligue Antilles Guyane n’a plus donné signe de vie à la FFPJP depuis 2 février 2019. OSM a mené l’enquête pour éclairer le fond de cette désaffection.

 

Comme toute Fédération Sportive, la FFPJP délègue ses pouvoirs administratifs à la Ligue, au niveau Régional et au Comité au niveau Départemental. Ainsi, à l’instar du Comité Régional P.A.C.A (qui fait le relais de la FFPJP au niveau des Comités du Var, du Vaucluse, etc.), la Ligue Antilles-Guyane se doit d’être le référent national des Comités de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et des Îles du Nord. Un rôle qu’elle n’a jamais réellement rempli, laissant les Comités s’organiser chacun de leur côté. 

Sur le plan sportif, l’une de ses principales missions est l’organisation des championnats régionaux qui permettent aux meilleurs de chaque territoire de s’affronter, pour en tirer une délégation à envoyer au championnat de France. 

Pour les présidents des comités départementaux, la sanction prise par la FFPJP à l’encontre de la Ligue Antilles-Guyane est tout sauf une surprise. 

« Je m’attendais à cette décision. Au cours des réunions auxquelles j’ai assisté, la Fédération avait annoncé la couleur. Mais comme la Ligue Antilles-Guyane ne peut être dissoute par la Fédération, c’est la décision de la perte d’agrément qui a été prise » confirme Jean-Claude Jean-Baptiste, Président d’un Comité Départemental de Pétanque de Guadeloupe. 

« C’était attendu, la FFPJP nous avait dit de nous mettre aux normes. Il n’y jamais eu de renouvellement du bureau. Il y a eu des propositions de rencontre, notamment avec la Fédé (sic) mais ça n’a jamais pu se faire. Il faut dire qu’il y avait une rivalité forte entre mes homologues de Martinique et de Guadeloupe » regrette David Primerose, Président du Comité de Pétanque de Guyane.

Et du côté du Comité des Îles du Nord le constat est simple : « Je crois que la Ligue Antilles-Guyane a fait n’importe quoi » déplore David Génin son président.

En effet, la Ligue Antilles Guyane ne s’est pas réunie depuis le 2 février 2019, et n’a plus envoyé le moindre signe de vie jusqu’a aujourd’hui (PV d’assemblée générale, bilan financier et organisation de championnat). Fort de ce constat, la Fédération a considéré que la Ligue ne représentait plus les comités en rajoutant par communiqué que son Président Jean-Jacques Romain (qui n'a pas souhaité s'exprimer à notre rédaction) demeure injoignable.

On en revient donc à ce qui avait tacitement prévalu jusque-là, c’est dire l’affiliation directe, sans intermédiaire des comités Départementaux de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et des Îles du Nord à la FFPJP. Ils continuent donc à représenter leur département aux différents championnats de France (Tête-à-Tête, doublette et triplette masculin, féminin et vétéran). Seul effet tangible de la perte d’agrément pour la Ligue, c’est la suppression de la place du champion Antilles-Guyane pour les différentes compétitions.

Une Ligue Antilles-Guyane à l’arrêt bien avant la crise sanitaire

Si la dernière réunion enregistrée date de 2019, l’activité de la Ligue était déjà mal en point avant l’arrivée du Covid-19. L’organisation du championnat Antilles-Guyane 2017 avait déjà donné le « La » sur ce qui allait se passait par la suite. Initialement prévue en Guyane, cette édition s'est déroulée au boulodrome de Dillon en Martinique. Le CD 973 n’a pas voulu organiser ces championnats pour une raison financière. Dans cette logique, la Guyane n’a alors pas envoyé d’équipe en Martinique.

« Un déplacement en Martinique ou en Guadeloupe mobilise 28 à 35 personnes. Cela nous coûte 14 000 euros : 11 000 euros de billet d’avion et 3 000 euros d’hébergement, sans compter les frais annexes. Nous sommes le plus petit Comité de France avec 123 licenciés. Nous ne pouvons assumer cette dépense chaque année. Et pour le championnat de France, on n’en parle même pas ! Nous n’avons pas envoyé d’équipe en France depuis 2016 » déplore David Primerose, président du comité Départemental de Pétanque de Guyane

Ce championnat de Ligue Antilles Guyane 2017 a donc vu s’opposer des équipes de Guadeloupe et de Martinique seulement. Le Comité des Îles du Nord a été créé en 2018. Jusqu’alors, Saint-Martin et Saint-Barthélemy faisaient partie du CD 971. 

D’après les statuts de la FFPJP, la Ligue Antilles Guyane était encore légitime puisque l’article 6 stipule : « Il faut au moins deux Comités Départementaux pour constituer un comité régional ». Jusque-là, tout va bien.

2018 le tournant mortifère

Les choses ne vont pas tarder à se gâter. En 2018, la Guyane n’était toujours pas présente aux championnats. En 2019, les championnats ne sont pas organisés et la Guadeloupe en profite pour récupérer une place supplémentaire pour les championnats de France grâce au statut juridique de l’archipel puisqu’elle est à la fois une région et un département. Ainsi, le Président du Comité 971 de l’époque, David Yoyotte réussit à envoyer trois joueurs au championnat de France Tête-à-Tête sénior : Gaëtan Soudiagom (champion départemental), Bruno Alberti (Champion régional) et Manuel Motteyen (qualifié d’office en tant que Vice-champion de France 2018. 

« Contrairement à la Martinique ou la Guyane, nous sommes à la fois département et région, donc administrativement rien ne nous empêchait de présenter une équipe pour le département et une autre pour la région, puisque les qualifications pour les championnats ont été effectuées dans les règles » se défend David Yoyotte.

« Ce nouveau statut ne me posait pas de problème puisque c’était avantageux pour la Guadeloupe, ça nous offrait d’office une place supplémentaire pour les championnats de France », explique Manuel Motteyen avant de regretter « de ne plus pouvoir se mesurer à nos amis Martiniquais et Guyanais lors de l’Antilles-Guyane. Nous avons toujours aimé nous rencontrer ».

Les voyants étaient aussi au vert du côté de la FFPJP puisque la Guadeloupe respectait les règles. Cette année 2019 était la première année où la zone caraïbe n’envoyait pas de champions Antilles-Guyane. Cependant, cet « avantage » qu’a la Guadeloupe sur les autres territoires n’aura duré qu’un an, puisque en 2021, la FFPJP accorde une place par Comité départemental.

« Les départements qui sont également région ne peuvent plus prétendre à avoir une place pour chaque désormais. Aujourd’hui, il y a une place pour le comité départemental et une place pour le comité régional qui doit obligatoirement être composé de deux départements au minimum. Actuellement, les conditions ne sont pas remplies pour obtenir une place régionale aux championnats de France. » Véronique Bajollet, Présidente de la Commission Outre-Mer de la FFPJP

Mettre sur pied un comité régional avant 2022

Ainsi donc, la FFPJP laisse la porte ouverte pour que les Comités s'organisent et pour c'est une occasion à ne pas laisser passer.

Aujourd’hui, on est obligé de recomposer un nouveau comité au niveau régional pour avoir l’agrément. Mais cela signifie que nous devons obtenir les mêmes droits, les mêmes places pour les championnats de France qu’avait la Ligue Antilles-Guyane. Je suis en train d’effectuer les démarches pour que cela puisse voire le jour avant décembre”. Jean-Claude Aline, président du Comité Départemental de Martinique.

Le temps presse, car la distribution des places se fera courant novembre/décembre. Et pour l’heure, les présidents sont en discussion, mais rien d’officiel. 

“Il faut que des gens de bonnes volontés de chaque département se mettent autour d’une table et posent les bases d’un comité régional solide. C'est-à-dire avec un président qui assoit une position forte et qui donne une direction cohérente au futur comité Régional. Nous souhaitons qu’ils y arrivent”. Véronique Bajollet, Présidente de la Comission Outre-Mer à la FFPJP.

Cette volonté d’avoir un comité Régional fort est partagée par le Président du Comité de Guyane. 

“Nous désirons un comité régional fort avec un accompagnement de la FFPJP, et notamment la création d’un CTR (Conseiller Technique Régional) pour encadrer la pratique et la développer. Il est très important qu’elle encadre la formation. Il ne faut pas que ce soit une coquille vide comme l’était la Ligue Antilles-Guyane et que mes homologues arrivent à passer outre leur forte rivalité”. David Primerose, Président Comité de Pétanque de Guyane

Du côté des Îles du Nord, la création d’un comité régional, et surtout de la compétition qui va avec, est vue d’un très bon œil. Ce serait l’occasion pour le jeune Comité, qui n’a jamais eu l’opportunité de participer à un Antilles-Guyane de montrer son potentiel et de se frotter aux champions de la zone Caraïbe.

L’arrivée de nouveaux présidents à la tête des Comités peut changer la donne. De notre côté, nous avons des contacts seulement avec la Martinique. Pas avec la Guadeloupe, ni la Guyane. Mais c’est très important d’avoir un championnat qui regroupe les quatre départements “. David Génin, président du Comité des Îles du Nord.

En attendant cette suite, il y a certains joueurs comme Gaëtan Soudiagom qui sont très déçus de la tournure des évènements.

« Je ne comprends pas comment nous avons fait pour perdre l’agrément. Comment, à cause de conflits de personnalités, nous arrivons à cette situation. Pourtant, ce n'est pas difficile de s’organiser. Un exemple très simple : pour le décès de mon père (Guy-Pierre Soudiagom dit Parachute, un très grand champion de la pétanque Guadeloupéenne, ndlr), il y a eu des personnes de Martinique et de Guyane qui sont venues à la veillée. Donc c’est possible de réunir les gens. Mais je crois savoir que les Îles du Nord et la Martinique s'organisent pour mettre sur pied un comité régional afin de récupérer l’agrément de la FFPJP, et je trouve que c’est une bonne chose ». 

Difficile donc pour l’heure d’entrevoir une Ligue Antilles-Guyane qui renaîtrait de ses cendres, pour se muer en Comité Régional d’ici les prochains championnats de France entre juin et septembre 2022. Si la volonté des différents départements est réelle, les discussions ne sont pas encore communes et les démarches administratives pas encore établies. Ainsi, la perte d’agrément de la Ligue Antilles-Guyane renvoi une nouvelle fois les comités et leurs présidents à leur personnalité. Le tout est de savoir si elles sont complémentaires et surtout si elles peuvent embrasser un destin plus grand que leur ego, celui de la performance sportive dans une région qui n’en manque pas.