Un Duo Day impromptu avec Axel Zorzi

Axel Zorzi soulevant 70kg durant son entraînement

Athlétisme
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Alors que ce devait être une interview au CREPS tout à fait normale avec le sprinteur handisport catégorie T13 (déficient visuel) Axel Zorzi, cette rencontre a pris un détour inattendu. En pleine semaine du Duo Day, cette interview s’est transformée en moment de vie. Récit.

 

Vendredi 19 novembre 2021, 5e jour de mobilisation contre le pass sanitaire en Guadeloupe. Le réseau routier est fortement perturbé, et le rendez-vous avec l’athlète de haut niveau Axel Zorzi est en suspens. Il m’appelle à 9h « Bonjour, je viens d’arriver au CREPS sans trop de problèmes. Vous pourrez être là à 10h ? » Je réponds par l’affirmative étant déjà en route. Dès mon arrivée, je comprends que la structure n’est pas épargnée par le mouvement social. Les étudiants sont partis, le lieu est presque désert. 

Malgré tout, Zorzi parvient à accéder à la salle de musculation. C’est là que je le retrouve assis sur un banc. L’homme est affable et une fois les présentations faites, la parole se libère.

« Le CREPS est devenu partenaire des Jeux de Paris 2024. Je me suis dit c’est top, parce que je vais pouvoir m’entraîner dans de bonnes conditions et faire le plein de vitamine D. La piste n’a qu’un an, les lignes sont parfaites pour moi car je n’y vois pas trop donc ça permet de bien rester dans mon couloir. Et pour la muscu le matos est complet , il y a de belles machines d’haltéro (sic). »

Dans ce lieu vide, les mots du sprinteur résonnent, pas un bruit autour, nous sommes dans une bulle.

« Je me suis vraiment bien entraîné en Guadeloupe. Alors j’ai eu des difficultés avec les bus parce que j’ai fait l’erreur d’être beaucoup trop loin du CREPS (Gosier, ndlr), donc si je reviens, je prendrais une chambre au CREPS. Mais on est vraiment bien ici, le bain de mer le matin, le soleil, les installations au top. Cependant, j’ai été souvent seul. Je fait des entraînements bi-quotidiens, alors que les athlètes ici s’entraînent une fois par jour parce qu’ils sont en reprise. Donc, je n’ai pas eu beaucoup de monde pour s’entraîner avec moi. » 

Les Frances sont devenus un petit objectif "

Après 3 semaines au CREPS, Axel connaît parfaitement l’endroit, et va chercher le matériel. Il l’installe à tâtons, et commence ses exercices avec une barre à 70kg. « Ah ouais ! Je suis content. La première semaine, les 60kg passaient moyennement et là les 70kg passent faciles. » Tandis qu’il enchaîne les exercices, il m’explique où il en est dans sa préparation pour les Jeux ou encore ses objectifs de saison.

« Là, on est en début de saison, donc il y a beaucoup de musculation, de renforcement, de charriot. On commence à rentrer dans la phase un peu dure, où c’est le début de l’hiver en France, il commence à faire nuit assez tôt et c’est vrai que de venir là, ça fait du bien. Durant la saison hivernale, je fais beaucoup de compétitions avec les valides (Inter-régionaux, Départementaux, France). En vrai, les championnats de France Handisports c’est devenu un petit objectif parce que chaque année, je suis médaillé. Du coup, tu ne t’attends pas à avoir un autre résultat. Tu y vas pour les records, pour voir un peu où tu en es, tester le nouveau matériel. Par exemple, cette année j’aimerais bien tester les pointes carbones. Mon principal objectif c’est les championnats du Monde en août à Kobé au Japon. Mais avant ça, il y a plein de meetings qui va falloir courir pour arracher la qualification aux championnats du Monde. Pour l’heure, je ne connaît pas encore les critères. »

IMG 1605Axel Zorzi sur l'exercice des anneaux qu'il a installé tout seul

Personne pour l'accompagner à l'aéroport

11h30. Fin de la séance de musculation et un problème se pose : il doit prendre son avion le soir à 18h mais personne ne peut l’emmener. Les référents du CREPS sont bloqués par les barrages, sa collègue d’entraînement Fanny Quenot est empêchée par son travail. Je suis sa seule solution de transport et moi, qui ai compris depuis longtemps que cette journée serait unique, accepte sans sourciller ma nouvelle mission. Après tout, l’alternative aurait été de rester coincé dans un barrage sur le chemin de retour vers la rédaction.

12h. Nous voici à l’aéroport, où beaucoup de monde attend dehors avec ses valises. Celle d’Axel ne peut plus rouler. Nous la portons à deux jusqu’à un diable, lui devant et moi lui donnant les indications. C’est l’heure du déjeuner, et après une séance d’entraînement, il a un appétit d’ogre. Face à son plateau bien garni, je ne peux m’empêcher de lui demander si ce repas n’est pas une entorse à son régime. Bon enfant, il me répond « quand je suis en déplacement, il n’y a plus de régime. » Assis sur les chaises de l’espace à mobilité réduite de l’aéroport, nous sommes comme deux amis qui discutent avant un grand départ. Je lui pose la question sur le métier de comédien qu’il exerce également.

« Pour l’instant, je ne concilie pas les deux. Mon côté comédien est actuellement en suspens. Je suis ouvert aux propositions, mais je mettrai toujours l’athlétisme en priorité. C’est vrai qu’il y a pas mal de projets que j’ai dû refuser car ça ne collait pas au programme d’entraînement, ça demandait une semaine de déplacement. Actuellement, je reprends des cours, je fais de l’improvisation et c’est super. Ca te sort du sportif et ça me reconnecte au théâtre sans me prendre la tête. Si on veut faire un parallèle entre les deux, il y a la performance. Tu répètes toute l’année, à l’entraînement, et au moment de monter sur scène, ou d’entrer dans le stade, il faut lâcher prise. On en parle beaucoup en théâtre de ce lâcher prise. Et ça dans le sport, tu l’as à chaque compétition. Parce que tu es obligé de lâcher prise. Si tu répètes ce que tu fais à l’entraînement, souvent ça suffit, mais si tu veux gagner, tu es obligé de lâcher les chevaux et d’y aller. » 

Entre deux crocs, il me pose des questions sur la Guadeloupe, le climat social, l’insularité, l’indivision. Je lui détaille également la situation particulière des îles françaises dans la Caraïbe, l’utilisation de la chlordécone, les réponses répressives de l’État, les stigmates de la colonisation ou encore la schizophrénie qu’il peut y avoir en Guadeloupe. Très réceptif, cette discussion lui permet peut-être d’avoir un regard différent sur ce qu’il a pu vivre pendant trois semaines.  

Dans le handisport, on est habitué a ne pas avoir de public "

Le journaliste en moi n’étant jamais loin, je lui demande tout de même si lui, qui a toutes les caractéristiques du showman, n’a pas souffert de l’absence du public dans les stades en raison de la pandémie.

« Dans le handisport, on est habitué à être sans public. Le seul public que l’on a, c’est les athlètes présents sur la compétition et les familles. On a eu une compétition de championnat de France à Albi, où là il y a eu du public en nombre. Et c’est trop bien d’avoir un public ! Moi j’ai fait de l’athlé pour ça, pour que le speaker dise « et voici Axel Zorzi ! », là tu te sens galvanisé, tu te dis, c’est bon, les gens sont avec moi et j’y vais. C’est plus facile quand on t’encourage comme ça, quand on te soutient, tu voles (sourire), tu t’envoles. Ca me rappelle quand j’ai assisté aux Jeux Paralympiques à Londres en 2012. Le public Anglais était vraiment à fond derrière leurs athlètes. Dès qu’il y avait un Anglais qui était cité par le speaker, c’était le feu dans le stade et il y avait au moins 30 000 personnes. Je me suis dit wouhaou mais c’est ouf (sic), il y a du public qui s’intéresse au handisport. J’ai eu envie d’être à la place du gars en bas qui en train de faire sa course comme un con, qui en chie (sic) pour faire son 400m. Et aujourd’hui, je suis bien parti pour être ce gars. » 

 14h30. Je ne peux plus oublier qu’en-dehors de cette bulle incroyable créée avec un sportif atypique, le monde continue de tourner. Je vais devoir tenter de revenir au boulot, sans être coincé sur l’Alliance ou la Gabarre. L’enregistrement d’Axel est dans un peu moins de deux heures. Mais même après lui avoir montré tout ce qu’il avait besoin de savoir sur l’aéroport, je me retrouve un peu penaud de devoir abandonner mon compagnon d'un jour, seul dans tout ce tumulte. Je le salue, et au moment où je me retourne, il me lance :

 « Tu as de la chance d’être journaliste, j’aurais bien aimé écrire quelque chose sur ce que l’on a vécu aujourd’hui. »